Jacques Curtet Jacque
Né à Grenoble en 1953, Jacques Curtet consacre sa vie à la musique. Enseignant, concertiste, improvisateur et compositeur, il explore des genres variés, à la recherche des formes les plus à même d’exprimer sa sensibilité.
Son histoire avec les sons se joue dès son plus jeune âge où l’apprentissage du piano va lui permettre de s’initier à la musique. Son adolescence est marquée par l’émulation culturelle et politique de la fin des années 1960 : c’est la découverte de la musique pop-rock, des Beatles, du rock progressif avec Pink Floyd, King Crimson, Yes… C’est à cette époque que Jacques se passionne pour l’exploration plus en profondeur de la matière sonore. Il réalise ses premières prises de son avec un mini-cassette Radiola, avant d’investir dans un Revox A77. C’est la découverte de tout un nouveau monde de matières à observer, à transformer, à partager : le paysage sonore dans toute son étendue, ses possibilités…
L’inspiration fugace cohabite avec l’inspiration flottante : c’est aussi une manière de conduire sa vie, dans la posture qui fait du corps une empreinte, un réceptacle sensible dans l’ineffable cours des choses. Les idées naissent de ces méandres non alignés où se rencontrent les connaissances et l’expérience. Ainsi d’un voyage en Tunisie qui lui fit apprendre la darbouka et lui révéla la primauté de l’oralité dans les musiques venues d’ailleurs. Ou encore cette plongée passionnée dans les trésors ethnographiques de la collection Ocora Radio France où se rencontrent chants chamaniques, instruments inconnus, traditions insoupçonnées… Initié à la bombarde et à diverses percussions du Maghreb et d’Orient, il s’imprègne ainsi des musiques traditionnelles bretonnes et orientales pendant de nombreuses années.
Autodidacte, Jacques s’engage ensuite dans l’improvisation libre, à l’heure du free jazz qui s’invite sur la scène musicale des années 1970. C’est l’occasion d’expérimenter une autre manière de jouer de la musique, où la présence de l’artiste sur scène accède à une forme d’engagement totale du corps et de l’esprit.
Pour Jacques, transmission et création complètent une vision holiste du musicien. Il enseigna ainsi dans l’Éducation Nationale, comme professeur de musique en collège, puis dans diverses écoles de musique depuis les années 1980. Ce travail de passeur des techniques et des traditions musicales, Jacques le lie intimement à sa démarche de composition. Il ne s’agit pas seulement d’enseigner une technique, un instrument, mais de montrer et partager ce que c’est d’être un musicien. Bien plus qu’un producteur de sons, le musicien est créateur d’une scène de partage d’où surgissent des liens : il engage un dialogue entre ondes et oreilles dans chaque oeuvre. Ce rôle du musicien est naturellement social. Il s’agit également de l’incarner par des interventions en écoles, des animations lors d’événements publics dans des cadres variés : musées, salles de concert, scènes extérieures, monuments historiques…etc. C’est dans ce contexte élargi qu’il devient possible de faire se rencontrer des arts et des publics qui ne se sont pas encore croisés.
En navigant d’un espace à un autre, Jacques a été traversé par une multitudes d’influences, de méthodes, et d’approches artistiques. Ce sont des rencontres marquantes qui ont également pu être la source de tant de projets éclectiques. Son travail avec les musiques de scène lui a permis de s’extirper des limites du pianiste accompagnateur pour participer à la création de spectacles où le chant, la mise en scène et ses musiques étaient réunis dans un moment total. Il a porté plus loin encore ce mouvement d’émancipation du cadre usuel du pianiste pour participer à des improvisations libres. « Sur scène tous les sons peuvent trouver leur place » , nous rappelle Jacques Curtet.
Diplômé de composition électroacoustique, ces nouvelles musiques sont venues offrir à Jacques un terrain d’expérimentation artistique considérable : non plus astreint au champ de tessiture et de timbre d’un instrument, ces musiques donnent à chaque son la possibilité de faire sens dans une oeuvre. De la prise de son à la composition électroacoustique, se déploie une chaîne de postures qui font alterner la perception, l’observation, la transformation et le positionnement spatial d’un son. A cette écoute radicale restituée par l’acousmonium, répond une intervention du compositeur qui peut se faire plus subtile, discrète, ou alors prépondérante, selon les moments d’une pièce. Non sans faire écho aux postures d’un John Cage, pour qui tout est musique, même le silence, Jacques traite chaque son avec le même égard. Il s’agit d’ausculter le son, de le soumettre à l’étirement d’une écoute poussée jusqu’à la frontière de l’audible.
« Il s’agissait de recueillir le concret sonore, d’où qu’il vienne, et d’en abstraire les valeurs musicales qu’il contenait en puissance » Pierre Schaeffer
Au delà d’une musique concrète parfois cantonnée à la restitution d’un paysage sonore, Jacques Curtet s’essaye au déploiement d’une forme de concrétude lyrique : magnifier le réel par le recueillement et le travail des sons qu’il contient. Trouver dans le son capturé un petit bout de réalité inouïe, et le porter sur le rivage de l’audible : parfois non sans lui faire traverser des mondes de filtres et d’effets divers. Le trajet du son, de l’oreille attentive jusqu’à l’oreille auditrice, recompose le parcours du créateur et le propose en voyage à son public. Face à une palette de technologies aux préformatages séduisants, c’est le retour au plus près du réel que l’électroacousticien pratique et auquel son écoute invite : l’outil numérique entre ses mains, le musicien désencombre nos oreilles.
Texte de Guillaume Cavallero d’après plusieurs entretiens avec Jacques Curtet